Sunday, Bloody Sunday…
Dans les années 70, un Luthier Parisien de 30 ans découvre un magnifique pays, l’Irlande dont le nord est sous le joug des britanniques depuis 1922. Au détour d’un voyage dans ce beau pays, il rencontre Jim et Cathy qui deviendront des amis. A leur contact et à celui de Tyrone Meehan, un responsable charismatique de l’IRA, il va prendre parti pour ce peuple et la cause qu’il défend…
Bien que j’aime beaucoup Pierre Alary en tant qu’auteur, j’avoue que j’allais un peu à reculons dans la lecture de « mon traitre ». Premièrement parce que les critiques avaient été tellement dithyrambiques, que j’avais peur d’être déçu au final. Deuxièmement parce qu’il est toujours très délicat d’adapter un support écrit en œuvre visuelle. En effet, il s’agit à l’origine d’un roman à succès de Sorj Chalandon, datant de 2008, qui a donné lieu à une première adaptation sous forme de pièce de théâtre. De son propre aveu, l’auteur a eu une petite appréhension à voir ses héros et son histoire, transposés en bande dessinée. Néanmoins, sa rencontre avec Pierre Alary, l’a rassuré et l’a décidé à lui laisser « carte blanche ». C’est pourquoi, étant d’un naturel curieux et aimant me faire ma propre opinion, j’ai quand même fini par lire ce roman graphique, 1 ans après sa sortie et j’ai été moi aussi conquis. Il ne me reste plus qu’à lire l’œuvre originale (peut-être cet été si j’avance bien dans la lecture de ma PAL) ainsi que la deuxième adaptation de Sorj Chalandon par Pierre Alary : Retour à Killibegs, qui correspondrait à l’histoire racontée cette fois-ci du point de vue du « traitre ».
J’ai apprécié cette histoire d’amitiés, humaines et fortes sur fond de conflit irlandais. On sent tout de suite qu’il s’agit d’événements pas seulement racontés mais réellement vécus. En effet, derrière le héros du livre original et de son adaptation en BD, se cache Sorj Chalandon qui s’était lié d’amitié avec Denis Donaldson membre influent du Sinn Féin et de l’IRA. Ce récit bien que romancé est une histoire personnelle. C’est cette sincérité qui transparait dans la BD, que ce soit par la justesse des textes ou alors par l’utilisation de couleurs monochromes qui instillent une ambiance particulière, à la fois mélancolique et angoissante, qui montrent un homme face à sa découverte choquante bien des années plus tard de la trahison d’un ami qu’il considérait presque comme un père. A l’inverse de certaines œuvres où l’action est omniprésente, ce sont davantage les sentiments et les émotions qui sont mis en avant ici. Avant le traitre, c’est l’homme que l’on nous présente, pour l’humaniser. On nous dépeint une figure respectée d’un mouvement politique, dont la trahison va surprendre tout le monde tellement on le croyait au-dessus de tout soupçon. Les séquences et flash-back sont entrecoupés de pages de texte extraites de l’interrogatoire du « traitre » par l’IRA, qui vient confirmer ce que l’on redoutait sans vouloir y croire.
L’angle du récit est assez intéressant et certaines scènes relativement crédibles. L’histoire, qui commence dans les années 70/80 et se poursuit dans ses ramifications jusqu’en 2006, est très bien construite. On passe d’une époque à une autre sans se perdre. De plus, cet album m’a rappelé des souvenirs, puisqu’en 1994, je suis allé à la découverte de l’Irlande et des irlandais, sac à dos sur les épaules. A cette époque, comme tout bon étudiant qui se respecte, j’avais un petit côté « révolté » et je prenais parti pour ces hommes, sous le joug pouvoir britannique. Même si, avec le recul, je suis moins enthousiaste car aucun des 2 camps n’était ni tout blanc ou ni tout noir. Cela m’a quand même permis de m’identifier assez facilement au personnage et à l’ « oppression » (dans tous les sens du terme) qui se dégage de certaines scènes assez fortes et que j’ai trouvées assez réalistes. En fait, durant mon périple en terre Irlandaise j’ai eu la chance de rencontrer des personnes entières et généreuses que j’ai beaucoup appréciées, mais j’ai aussi eu l’occasion de me sentir mal à l’aise en croisant dans les rues de Belfast, des blindés anglais roulant à tombeau ouvert, prêts à en découdre, et des soldats britanniques tenant à bout de bras des fusils d’assaut qui leur donnaient une allure assez belliqueuse.
Pour terminer, je dirais que Pierre Alary a décidé d’endosser le lourd « costume » de l’ « auteur complet » sur cet album et cela lui va comme un gant. Il réussit avec brio à donner vie à cette amitié improbable entre un luthier parisien et à un des principaux leaders de l’IRA. Il nous présente un drame intime avec des irlandais chaleureux mais aussi en colère face aux injustices qu’on leur fait subir et qui se battent pour leur liberté. Il y a de l’émotion qui se dégage de cette « ballade irlandaise » qui utilise un découpage efficace et des cases épurées. Néanmoins, il ne s’agit nullement d’un pamphlet politique mais plutôt d’une histoire pleine de complexité et d’humanité.
MON TRAITRE
Pierre Alary
134 pages – Couleurs
Date de parution : 10/01/2018
Editeur : Rue de Sèvres
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