M, le Modi…
En 1917, la France connait les affres de la première guerre mondiale. On craint que l’Allemagne n’envahisse Paris. Durant cette époque troublée, un artiste maudit brule intérieurement de ne pas pouvoir participer aux combats, à cause de sa tuberculose qui le rend inapte à servir son pays d’adoption. Peintre et sculpteur italien, empreint de liberté et d’insouciance, Amadeo Modigliani est devenu une figure emblématique de l’école de Paris, après sa mort. Ironie du sort, lui qui a vécu misérablement pendant toute sa vie a connu la consécration une fois disparu.
Cette bande dessinée reprend les dernières années d’Amadeo Modigliani, artiste bohème, qui rêvait de changer le monde à coup de pinceaux mais qui a été rattrapé par ses vieux démons : drogue, alcool et passion des femmes. Disparu trop tôt à cause de ses excès en tout genre et de la maladie qui le rongeait, Dedo comme l’appelait ses amis, est un artiste que j’apprécie beaucoup. C’est pourquoi, lorsque j’ai appris sur le tard qu’une BD lui était dédiée, je me la suis procurée.
Assez proche du Modigliani de Mick Davis avec Andy Garcia et Elsa Zylberstein, sur certains points (certaines cases semblent familières), le roman graphique s’en éloigne par son côté très sombre. Là où le film était assez romancé et mélodramatique, le scénario de Laurent Seksik nous montre le côté obscur et perturbé de l’artiste ainsi que le destin tragique de 2 protagonistes. En fait, ce n’est pas que de Modi dont parle la BD mais aussi et surtout de sa muse et compagne, Jeanne Hébuterne, qui est dépeinte avec beaucoup de mélancolie.
Modigliani n’est pas épargné par cette biographie sans complaisance où l’on voit que ce sont ses choix et peut-être une sorte de destinée (ou d’hérédité ?) qui l’ont conduit à vivre misérablement malgré les efforts de Léopold Zlobowski, ami indéfectible et marchand d’art, qui le soutient notamment en le faisant connaître et en vendant ses toiles. La sensibilité de l’artiste est également en grande partie responsable de ses propres malheurs comme nous le montre par exemple sa rencontre (qui se passe mal) avec l’un de ses pairs reconnu de l’époque, Auguste Renoir.
Il y a quelque temps, j’ai eu l’occasion de lire H.H. Holmes, également dessiné par Fabrice Le Hénanff. J’ai trouvé ce thriller beaucoup plus sombre que Modigliani au niveau des couleurs. En effet, bien que l’histoire ici soit triste et noire, les cases sont plutôt lumineuses dans la grisaille. Les planches très belles de l’artiste sont relativement travaillées et originales. Les dessins réalistes naviguent entre photo et peinture. Sur certaines pleines pages, on retrouve des cases en incrustation ou en panoramique, un peu à la manière d’un film. L’auteur, bien qu’il reproduise assez fidèlement des gros plans des œuvres du peintre, essaye d’éviter de manière intelligente de trop les dessiner pour se concentrer plutôt sur l’esprit et la vie de l’artiste.
Le bémol que je retiendrais pour cette œuvre est qu’elle manque parfois de transitions claires entre les scènes. Mais dans l’ensemble, il s’agit d’une très belle réalisation qui s’adresse à tous, que l’on soit passionné d’art ou simple lecteur. La narration nous tient en haleine même si l’on connait déjà la fin inéluctable. De même, certains dessins ressemblent à des tableaux. A n’en pas douter, cet album attractif peut donner l’envie de découvrir les œuvres de Modigliani.
MODIGLIANI
Prince de la bohème
Laurent Seksik & Fabrice Le Hénanff
72 pages – Couleurs
Date de parution : 08/10/2014
Editeur : Casterman
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