La création sans concessions…
Cristóbal, un artiste contemporain à succès, et au tempérament volcanique, revient sur son île natale, 20 ans après l’avoir quittée. Pour protéger celle-ci ainsi que ses habitants du tourisme de masse, il décide d’appeler à la rescousse ses amis artistes afin d’investir dans ce paradis, perdu en plein milieu de l’océan. Adulé par certains, haï par d’autres, cet artiste controversé ne laisse pas indifférent. C’est notamment à cause de cela que la police se pose des questions sur sa mystérieuse mort dans un accident de voiture. Commence alors une enquête menée par l’inspecteur Ramirez, qui va se pencher sur son passé pour savoir qui avait intérêt à le voir disparaitre.
C’est en lisant le « Bamboo Mag » N°48 en 2017 que j’avais pris connaissance de la sortie de cette bande dessinée. J’avais eu une très bonne impression tant au niveau de la belle couverture que du pitch. Mais c’est plusieurs mois après, en flânant dans les allées de La Mystérieuse Librairie Nantaise que je suis retombé dessus par hasard et que j’ai décidé de sauter le pas. A l’origine, j’y étais allé pour acheter Crimson Omnibus d’Humberto Ramos dont j’avais entendu parler par le site Boojum et dont nous reparlerons certainement une prochaine fois …
Je ne connaissais pas trop Bruno Duhamel avant d’avoir lu cette bande dessinée mais j’avoue avoir tout de suite accroché au style tant au niveau graphique, que scénaristique. Son coup de crayon est un savant mélange entre sobriété et semi-réalisme. On découvre des dessins détaillés mais qui cohabitent avec des éléments plus épurés, ce qui peut donner une impression d’espace et de liberté. J’aime beaucoup le dessin, qui s’adapte parfaitement au sujet de la BD sur cet artiste imaginaire. Je ne sais pas si l’auteur s’est inspiré d’œuvres artistiques existantes pour certaines des réalisations du héros mais je les trouve très esthétiques et abouties. Le découpage des cases est lui aussi pensé et équilibré. On a un mélange entre compositions classiques et cases incrustées sur une image de fond, pleines pages et même une très belle double page.
En ce qui concerne la colorisation, elle est utilisée de manière originale avec un objectif sous-jacent. Plusieurs interprétations sont possibles. Pour ma part, je pencherais sur le fait que le passé est finalement plus intéressant que le présent. Tout ce qui se passe après la mort de l’artiste est monochrome alors que tout ce qui concerne l’artiste de son vivant est en couleur. L’enquête sur la mort du héros est fade, avec peu d’intérêt, alors que sa vie, ses relations, ses œuvres, sa personnalité sont beaucoup plus passionnantes. Lorsqu’elles sont utilisées, les couleurs sont contrastés et donnent du relief aux images. Elles mettent également en exergue le fait que le personnage est « haut en couleur ». Les nuances permettent de différencier les périodes fastes et de celles plus tourmentées.
Bruno Duhamel a décidé de créer son personnage de Cristóbal en s’inspirant de l’histoire de César Manrique, peintre, architecte et sculpteur du siècle dernier qui après avoir connu le succès est revenu sur son île natale de Lanzarote pour en faire l’un des endroits les plus beaux du monde. Pour ce faire, il a mené un projet, autorisé par le président du gouvernement des Canaries. Il a ainsi pu imposer un certain nombre de conditions : n’utiliser que des méthodes de constructions traditionnelles, ne pas réaliser d’immeubles de plus de deux étages ou encore bannir les panneaux publicitaires situés sur les bords des routes. De l’aveu même de l’auteur, c’est pour éviter de devoir réaliser une « hagiographie inutile » qui aurait été trop contraignant en termes de respect de la vie et de l’œuvre de l’artiste, qu’il a décidé de créer son propre personnage de fiction. C’est également dans le but d’inventer une histoire qui permette d’explorer le caractère tourmentés et excessif de son héros. C’est un être humain imparfait avec toutes ses qualités, ses défauts, ses aspirations et ses contradictions.
L’auteur n’est pas seulement dessinateur sur cette œuvre, il est aussi à l’origine du scénario qui est relativement bien construit et articulé. Il fait des « allers retours » entre l’enquête de l’inspecteur et des extraits de la vie de Cristóbal, qui permettent de mieux appréhender l’artiste dans ses relations avec lui-même et avec autrui. De même, le récit fait s’interroger le lecteur sur la corruption de certains hommes politiques par les promoteurs immobiliers, la société de consommation et les dégâts du tourisme de masse. On y découvre également l’évocation du tourisme durable comme forme de tourisme alternatif qui assure un développement économique s’inscrivant sur le long terme, en étant respectueux des hommes et des ressources environnementales, socioculturelles.
L’attitude de Cristóbal est peut-être louable au début de son retour sur l’île mais petit à petit, on découvre une autre facette de la personnalité de l’artiste qui agit parfois avec mégalomanie et despotisme. Ces traits de caractères ne le rendent pas toujours très sympathique. Le point de vue du personnage et de ses amis artistes m’a quand même un peu gêné. Il est assez élitiste et lourd de sens parce qu’il voudrait dire que les amoureux de l’art sont des touristes plus respectables et acceptables (que les touristes lambda venant profiter des plages) parce qu’ils sont généralement plus aisées et cultivés. Cet album n’en reste pas moins, une excellente découverte, esthétiquement réussie et inspirant.
LE RETOUR
Bruno Duhamel
92 pages – Couleurs
Date de parution : 01/02/2017
Editeur : Bamboo Édition
Collection Grand Angle
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