Prendrons le train…
Dans une famille sans histoire, Ben est un enfant de moins de 10 ans qui disparait de sa chambre par une nuit comme les autres. C’est un gentil monstre qui est venu le chercher pour l’aider à sauver le royaume d’Auxfanthas, menacé par un mystérieux mal que seul le jeune garçon peut combattre. L’enfant décide alors de le suivre de son plein gré, pensant jouer les héros. Néanmoins, au petit matin, il ne réapparait pas et reste introuvable pour ses parents qui affolés contactent rapidement la police et les médias pour essayer de le retrouver. Très vite les enquêteurs soupçonnent la famille de cacher autre chose et se demande s’il n’y a pas une vérité plus trouble derrière cette absence…
Le scénariste espagnol, Josep Busquet, souhaite entretenir une certaine ambiguïté, car pendant une bonne partie du récit, on peut s’imaginer qu’il s’agit d’une histoire beaucoup plus complexe et symbolique qu’il n’y parait, avec des faux semblants et des retournements de situation. L’oppression et les interrogations sont de mise et les fausses pistes comme par exemple « l’entretien de Ben avec une pédopsychiatre lors de son retour », contribuent à nous laisser penser que peut-être, ce qui est raconté est déformé, fantasmé et qu’en fait il s’agirait d’une histoire beaucoup plus sombre. On pense rapidement à un thriller psychologique avec enquête policière pour finalement s’en écarter après un certain temps et redevenir plus sobre. C’est ce qui m’a un peu décontenancé, trop habitué à lire ou voir des histoires retors et alambiquées où les « twists scénaristiques » sont légions. Mais c’est cette « innocence » qui surprend et fait partie du charme de cette BD. L’œuvre nous parle de la magie liée à l’enfance. On peut d’ailleurs mettre en parallèle l’histoire de Ben et celle de Wendy dans Peter Pan de James Matthew Barrie. Sauf qu’ici, ce n’est pas la vision de « l’enfant qui part » qui est montrée. A aucun moment on ne voit les aventures féériques et épiques que vivrait Ben, et qui pourrait nous rassurer, d’une certaine façon, sur ce qui arrive au petit garçon. C’est aussi ce qui rend cette œuvre assez originale.
Cette BD nous donne donc plutôt le point de vue de « ceux qui restent », ceux que l’on ne voit pas du tout dans des œuvres où l’on fait la part belle à l’aventure et qui ne s’intéressent jamais au désarroi, aux doutes et interrogations ainsi qu’à la détresse de ces parents qui restent dans la réalité ordinaire du quotidien pendant que leurs enfants voyagent dans des mondes fantastiques. Les auteurs nous montrent également l’évolution du regard des autres. Au début, les malheureux parents inspirent la compassion de leurs amis et de leurs voisins, qui les soutiennent dans cette épreuve avant d’être mis à l’écart et soupçonnés d’avoir commis l’irréparable. J’ai trouvé que l’émotion distillée tout au long de l’album était assez forte et on ne peut pas rester insensible à ce qui se passe pour Susan et Edward Hawkins. On comprend que ce qu’ils vivent doit être cauchemardesque, ce qui nous les rend si attachants et c’est aussi pourquoi on espère que cela va bien se terminer pour eux. Je me suis tout de même demandé si j’aurais été sensibilisé de la même façon si je n’avais pas été moi-même parent.
La tristesse et la nostalgie du sujet sont plutôt bien « illustrées » par le choix des couleurs pastel utilisées par Alex Xöul, le dessinateur. Celles-ci mettent en place une ambiance particulière, renforcée par les jeux d’ombres et de lumières. Les cadrages sont très travaillés, il y a peu de gros plans comme si l’auteur voulait donner une vision globale pour montrer que cela ne concerne pas seulement le couple de Susan et Edward mais que d’autres parents sont aussi potentiellement concernés. Les décors assez détaillés sont là pour nous donner l’impression que l’on est dans la réalité et que ce qui nous est raconté existe vraiment.
CEUX QUI RESTENT
Josep Busquet & Alex Xöul
125 pages – Couleurs
Date de parution : 21/03/2018
Editeur : Delcourt
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