Au nom de tous les siens…
Art Spiegelman, auteur de BD d’origine juive, nous raconte ce qu’ont vécu ses parents durant la guerre 39-45 et une partie de la vie de Vladek, son père veuf, dans les années 70. Ses parents ont survécu à l’horreur de la guerre, des persécutions et des camps de concentration pour finalement s’installer en Amérique, après la guerre, et rejoindre un parent proche.
J’avoue que j’ai longuement hésité avant de m’attaquer à ce monument de la BD « multi primé » et traduit dans environ trente langues. En effet, je me méfie toujours d’une œuvre trop encensée par la critique et qui reçoit de très nombreux prix prestigieux. J’ai toujours un peu peur de ne pas être à la hauteur d’une BD plus destinée à une élite intellectuelle que véritablement accessible au commun des mortels dont je fais partie. Je vous rassure, ce n’est pas le cas ici, j’ai vraiment beaucoup aimé cette bande dessinée qui nous conte avec simplicité, authenticité et humour tout un pan de l’histoire tragique du génocide orchestré par Hitler.
Je ne parle pas allemand, mais j’ai cru comprendre que Maus veut dire souris dans la langue de Goethe. Si l’auteur a décidé d’appeler son ouvrage ainsi, c’est parce qu’il utilise des métaphores animalières pour montrer toute la bestialité de ce conflit. C’est aussi parce que c’est un bon moyen de faire passer des messages avec un aspect humoristique comme pour atténuer la cruauté des faits : les juifs sont les gentilles souris, les nazis sont les féroces chats et les polonais sont les méchants collabos au visage de porc. C’est un peu déshumanisant comme vision des choses, mais cela permet de mettre de la distance et rendre plus acceptable l’horreur pour nos yeux de lecteur.
Ce qu’Art Spiegelman a essayé de faire, c’est sauvegarder une partie de la mémoire de son père, un survivant, pour que l’on n’oublie jamais ce qui s’est réellement passé durant ces heures sombres qui ont secoué l’Europe pendant la seconde guerre mondiale. C’est le récit de ces années de conflit armé qui fait écho à la souffrance de tout un peuple persécuté par ses bourreaux. Ce devoir de mémoire peut permettre à tous d’appréhender et de vulgariser l’Histoire avec un grand H. Sorte de reportage, les entretiens entre l’auteur et son père construisent la trame de l’album. C’est à partir de cette matière qu’Art enchaîne les séquences, oscillant entre deux époques, les années 70 à New-York et la Pologne avant ainsi que pendant la guerre 39-45.
Malgré tout ce qu’il a vécu et subi pendant la guerre, je n’ai pas réussi à trouver très attachant le personnage qu’est devenu Valdek, le père de l’auteur, dans les années 70. Il est aigri, avare, égoïste et raciste. Ce dernier élément est assez surprenant, car au vu des persécutions qu’il a lui-même subies, on s’attendrait à ce qu’il ait plus l’empathie. Le traumatisme de toutes ces années de guerre ainsi que le suicide de sa femme qu’il aimé plus que tout, l’ont énormément changé. En effet, d’après le portrait que nous dresse l’auteur du passé de son père, je trouvais cet homme plutôt sympathique, débrouillard, protégeant sa femme, sa famille, sa belle-famille, ses amis ou ses compagnons de rencontre. Ces contradictions entre les deux personnalités du père transparaissent dans les relations difficiles qu’il entretient avec son fils. Ce dernier est plein de colère et de peur face aux difficultés de vivre dans l’ombre d’un survivant de la Shoah.
Sorti dans un pays et à une époque où le marché du comics était « trusté » par deux grands éditeurs de super-héros (Marvel et DC comics), ce roman graphique s’inscrivant plus dans la mouvance underground, a su trouver sa place, mais non sans difficulté. Visuellement, les dessins m’ont fait un peu peur au premier abord de par leur traitement en noir et blanc avec des textes plutôt denses, qui donnent un effet écrasant et très noir. Ce qui est contrebalancé par certaines scènes humoristiques qui apportent un peu de légèreté. De plus, les traits sont assez épurés et les visages assez peu expressifs. Comme si l’auteur voulait gommer une partie des sentiments que lui inspirent les protagonistes pour se concentrer sur l’aspect froid et sérieux, voire documentaire, du sujet.
Je l’ai fait, j’ai enfin lu cette œuvre importante du 9ème art et j’en suis très content. Je pense que si je ne l’avais pas fait, cela aurait manqué à ma culture BD. Je vous recommande la lecture de cet album et je me demande même si je ne vais pas l’offrir à mon beau-père. J’hésite encore à lui offrir, car il est d’origine polonaise et je ne voudrais pas qu’il se sente offensé par la façon dont Art Spiegelman représente les polonais dans son roman graphique. Je pense, néanmoins, qu’il est suffisamment intelligent pour faire la part des choses.
MAUS
…Intégrale
Art Spiegelman
292 pages – Noir et Blanc
Date de parution : 01/11/1998
Éditeur : Flammarion
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