C’est écrit…
Dans un futur indéterminé, l’homme est en voie d’extinction. Deux frères essaient de survivre après la mort de leur père. Incapables de lire et d’écrire, Santo et Lino ont été élevés dans le culte de l’homme fort, qui ne doit pas montrer sa fragilité. Leur père ne leur a jamais dit qu’il les aimait dans le but de les endurcir. Il les a également exclus de toute forme de culture comme si cela était mal.
J’ai lu cet album pour la première fois, l’année dernière, dans le cadre du comité de lecteurs pour les Utopiales 2017 et finalement, il m’aura fallu plusieurs mois avant de me poser pour écrire cette chronique. Je n’ai pas tout de suite accroché, quelques pages ont été nécessaires pour me plonger dans l’œuvre. Celle-ci, bien que brute visuellement (utilisation du Noir et Blanc, réalisation à la plume, contours des cases irréguliers…) au premier abord, se révèle être très poétique, au bout du compte. J’avoue que je ne connaissais pas forcément les autres BD de cet auteur italien mais une fois plongé dans le récit, j’ai été séduit. Force est de constater que la maison d’édition, Futuropolis, appartenant à Gallimard, continue de privilégier la création d’auteur et les œuvres fortes.
Enigmatique sur les raisons qui ont mené ce monde à devenir post – apocalyptique, l’histoire nous conte plus la recherche effrénée de la connaissance oubliée qu’une aventure à la « Mad Max ». Même si le vocabulaire utilisé est assez pauvre (la plupart des personnages ne parlent pas correctement et ne savent ni lire ni écrire), le langage, l’écriture ainsi que la transmission de la connaissance tiennent une place très importante. Gian Alfonso Pacinotti dit Gipi matérialise la relation des protagonistes face à l’écriture de manière originale : après la mort du père et pendant plusieurs pages, l’auteur nous montre les pages d’un carnet, noircies d’une écriture illisible à l’instar de ce que regardent les fils n’ayant pas appris à lire. C’est assez déroutant et immersif comme procédé car on est tenté, nous aussi, de déchiffrer ces pages sans y parvenir et l’on peut aisément imaginer la frustration que doivent ressentir les deux frères.
La relation père-fils naturellement complexe tient également une place importante notamment par le biais de l’ainé des frères qui hait son père tout en étant fasciné par lui et par ce qu’il a écrit. Il va chercher à tout prix à se faire déchiffrer les pages en espérant obtenir les « clefs » nécessaires pour comprendre son géniteur. C’est un peu le moteur de cette quête qui va mener les 2 frères à explorer des contrées jusqu’à présent interdites par leur père et à faire la connaissance d’autres habitants (mutants cannibales, adorateurs du dieu tropkool…) de cette terre désolée et impitoyable.
Singulière par son histoire mais aussi dans sa mise en œuvre, cette bande-dessinée m’a interpellé. Graphiquement le trait de Gipi est à la fois simple et fouillé, notamment par l’utilisation de hachures afin de donner du volume aux cases. Cela donne une impression un peu brouillonne et sauvage. Ce trait rugueux et efficace, s’adapte assez bien à l’ambiance de l’œuvre comme pour marquer l’hostilité de ces territoires inhospitaliers. Pour compenser la violence et le sérieux du sujet, l’auteur a ajouté à la narration des touches d’humour par ci par là pour apaiser le lecteur et contraster avec la brutalité du récit. Enfin, bien que la tension dramatique soit à son comble pendant une bonne partie de l’histoire, cette BD se termine sur une note d’espoir, la promesse d’une vie nouvelle à reconstruire pour les 2 frères.
LA TERRE DES FILS
Gipi
276 pages – Noir & Blanc
Date de parution : 09/03/2017
Editeur : Futuropolis
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